Il commence ainsi : « La majeure partie des habitants de la planète se déclarent croyants. C’est un fait qui devrait encourager les religions à dialoguer. Nous devons prier sans cesse pour cela et travailler avec ceux qui pensent d’une autre manière. » Ces premiers mots rappellent la fameuse déclaration Nostra aetate de Vatican II. Cette déclaration disait que beaucoup cherchent dans diverses religions la réponse aux énigmes de la condition humaine, et elle appelait l’Église catholique à une attitude fraternelle vis-à-vis de tous les hommes quelles que soient leurs croyances (Nostra aetate, 1 et 5). De même, le Pape François relève que la plupart des hommes se disent croyants, et que cela doit encourager les religions à « dialoguer ». Et il invite, non seulement à prier à cette intention, mais à « travailler avec ceux qui pensent d’une autre manière » ; c’est que, comme cela a été souvent souligné depuis Vatican II, le dialogue est entre autres un « dialogue des œuvres », c’est-à-dire qu’il passe notamment par la coopération entre des croyants qui sont disposés à œuvrer ensemble pour le bien de l’humanité.

Cette conviction ne revient pas à ignorer les divergences entre les religions : « beaucoup, dit le Pape, pensent de manières différentes, ressentent les choses différemment, cherchent ou rencontrent Dieu de diverses manières ». Et l’on voit de fait, dans la video, des croyants de diverses religions qui s’expriment différemment. Reconnaître cela, ce n’est pas tomber dans le relativisme : il ne s’agit évidemment pas de dire que, du point de vue chrétien, toutes les religions se valent. Mais il s’agit néanmoins d’accepter et de respecter les religions dans leur diversité. Le concile Vatican II l’avait dit avec force : l’adhésion sincère et loyale à l’Église catholique ne doit pas empêcher de reconnaître le droit de tout être humain à professer et pratiquer sa propre religion (pourvu que ce soit dans le respect d’autrui), et ce droit à la liberté religieuse se fonde sur la dignité même de la personne humaine (Dignitatis humanae, 2 et 4).

Quelles que soient en tout cas les divergences au niveau des croyances et des doctrines religieuses, il existe un certain nombre de valeurs fondamentales auxquelles tous les croyants doivent adhérer, tout simplement parce que ce sont des valeurs essentielles au bien de l’humanité : ainsi la justice, la paix, ou encore la préservation de notre « maison commune ». Plus encore, le Pape déclare que « nous avons une seule certitude pour tous : nous sommes tous enfants de Dieu ». Certes, le concile Vatican II disait que les membres de l’Église sont « devenus enfants de Dieu par la foi et le baptême » (Sacrosanctum concilium, 10), mais auparavant il parlait des « enfants de Dieu dispersés » (ibid., 2) – laissant ainsi entendre que l’expression « enfant de Dieu » pouvait s’entendre, au sens large, de tout être humain en tant qu’il est créé par Dieu (même si, par l’union au Christ dans l’Église, on est appelé enfant de Dieu « en toute vérité » – selon Lumen gentium, 48). Le concile rappelait en tout cas que les hommes ont tous été créés « à l’image de Dieu ». Bien plus, il soulignait que la grâce de Dieu agit dans le cœur de « tous les hommes de bonne volonté », et il allait même jusqu’à dire que « l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Gaudium et spes, 22). Le pape François peut donc dire « nous sommes tous enfants de Dieu », sans que cela mette en cause l’expérience unique de la filiation obtenue par la foi et le baptême.

Or être enfant de Dieu, c’est « aimer » et vivre de l’ « amour » (puisque l’amour caractérise la vie même de Dieu). Et il y a, dans toutes les religions, des hommes et des femmes qui peuvent dire (comme on le voit dans la video) : « je crois en l’amour ». C’est bien là une certitude qui est partagée par des croyants de toute religion. Il ne s’agit pas, redisons-le, de relativiser pour autant les divergences entre religions : le pape François l’a lui-même souligné dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile, en dénonçant un « syncrétisme conciliateur » et en rappelant que « la véritable ouverture implique de se tenir ferme sur ses propres convictions les plus profondes » (n° 251). Mais les divergences ne doivent pas être des alibis pour ne pas reconnaître ce que les croyants de diverses religions partagent ou devraient partager – leur engagement pour le bien de l’humanité, et, plus que tout, leur capacité à aimer. La même exhortation apostolique affirme en tout cas que le dialogue interreligieux doit être caractérisé par « une attitude d’ouverture en vérité et dans l’amour », qu’il est « une condition nécessaire pour la paix dans le monde », et qu’il est par conséquent « un devoir pour les chrétiens, comme pour les autres communautés religieuses » (ibid., n° 250).

On comprend à cette lumière l’intention de prière que le pape François formule à la fin de la video : « Que le dialogue sincère entre les hommes et les femmes de différentes religions porte des fruits de paix et de justice ». Cette prière est plus que jamais nécessaire. Il nous faut invoquer l’Esprit pour que, malgré les drames et les tragédies qui bouleversent notre humanité, il inspire aux hommes de bonne volonté – quelle que soit leur religion – de se rencontrer, de parler ensemble, de faire cause commune contre toute forme d’injustice ou de violence, et d’œuvrer pour la justice, pour la paix, ainsi que pour la préservation de notre « maison commune ».

Michel Fédou sj

9 janvier 2016

Michel Fédou, jésuite français, est professeur de théologie dogmatique, ancien président du Centre Sèvres, membre du   « Groupe des Dombes », ancien membre du Conseil épiscopal français pour les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux. Il est spécialisé en patristique, en christologie, théologie trinitaire, œcuménisme et en théologie des religions.

Télécharger doc

Laisser un commentaire